L’envers du tourisme au Sahara Tchadien. Entre jeu politique national et indifférences locales
Julien Brachet, Judith Scheele
Sous l’œil désintéressé de quelques militaires locaux, deux jeunes hommes terminent de balayer les deux salles presque abandonnées du petit aéroport de Faya-Largeau, au cœur du Sahara tchadien. Une équipe de sécurité privée approche, débonnaire, suivie de policiers et d’agents de l’aéroport de N’Djamena venus pour l’occasion. Un panneau « arrivée » est scotché sur une vitre, un panneau « départ » sur une autre juste à côté. Puis arrivent peu à peu des véhicules tout-terrain, le ministre du Tourisme, les gouverneurs du Borkou et du Tibesti, le préfet du Borkou, le maire de Faya, quelques militaires français, des journalistes de Télé Tchad et de France 2. Une centaine de personnes se retrouvent réunies et commencent à attendre. Quelques heures passent pendant lesquelles des militaires tchadiens tentent avec difficulté de chasser les ânes de la piste d’atterrissage. Peu avant la nuit, malgré le vent de poussière, un avion estampillé Air Méditerranée se pose. Les autorités tchadiennes se lèvent, les militaires français soufflent, les caméras filment, tandis que la plupart des curieux, las d’attendre, sont déjà rentrés chez eux. Depuis vingt ans que la piste de Faya est goudronnée, c’est la première fois qu’un avion commercial s’y pose, un avion avec à son bord plusieurs dizaines de touristes. N’ayant jamais eu une vocation touristique quelconque, le nord du Tchad est ainsi devenu, ce 22 février 2012, par défaut et à mesure que les autres destinations sahariennes se sont fermées, un lieu d’accueil pour touristes européens. Pour ce faire, il y a eu conjonction d’intérêts et de volontés entre un voyagiste français, Point Afrique, qui joue sa survie, et l’État tchadien qui tente de normaliser l’image du pays, depuis longtemps synonyme sur la scène internationale de guerre civile et de chaos politique. Par et pour le tourisme, et indépendamment des événements sur le terrain, le nord du Tchad a donc été homologué comme « lieu sûr » par un certain nombre d’acteurs — une « sécurité » qui semble pourtant bien arbitraire dans un pays dont l’histoire récente défie toute classification de ce genre.