Sahel et Sahara: ni incontrôlables, ni incontrôlés
Julien Brachet
Le Sahel est fréquemment dépeint comme une « zone grise » incontrôlable et incontrôlée où il serait difficile de savoir ce qui s’y passe, et plus encore d’avoir prise sur ce(ux) qui y passe(nt). L’image de la « zone grise », utilisée depuis quelques années tant par les médias et les hommes politiques que par nombre « d’experts », renvoie à l’idée d’espaces peu, sous, mal ou non contrôlés, par des États « fragiles », « déliquescents » ou « faillis », voire « voyous », pour reprendre une terminologie politique et militaire dorénavant courante1. La diffusion de ces notions à propos du Sahel, et de nombreux autres espaces à travers le monde, fait suite à la mise en oeuvre des politiques de lutte contre le terrorisme au cours des années 2000 et, notamment, la Global War On Terror du gouvernement des États-Unis d’Amérique. Peu après que la Pan Sahel Initiative n’ait été transformée et élargie en Trans-Saharan Counter Terrorism Initiative en 20052, un rapport préparé pour l’armée étasunienne marqua une étape dans la définition et la popularisation de la notion d’espace « incontrôlé ». Intitulé Ungoverned Territories: Understanding and Reducing Terrorism Risks, ce rapport de 2007, dont un chapitre porte sur l’Afrique de l’ouest, affirme que ces espaces sont les principaux foyers de développement des activités illégales, et spécialement des menaces terroristes, en raison de l’absence de pouvoir étatique3. La notion d’ungoverned territories et ses diverses déclinaisons floues, peu usitées jusqu’alors, allaient se trouver au cœur de toute une série de rapports politiques et militaires qui se sont succédé au cours de la seconde moitié des années 2000, validant et popularisant leur utilisation4. Depuis, les régions sahariennes et sahéliennes ont été qualifiées à d’innombrables reprises de régions incontrôlées et incontrôlables, « d’arc de crise » et de « zones grises », autant d’expressions devenues les slogans des experts de la géopolitique sécuritaire à travers le monde, repris sans ambages dans les discours politiques et les médias. Pour autant, ces expressions -au sens flou et auxquelles aucun contenu n’est précisément assignable- ne disent que peu de choses des régions qu’elles qualifient, de la vie quotidienne de leurs habitants, de leurs histoires, de leurs organisations politiques ou de leurs économies. Au contraire, elles induisent en erreur.